Leçon précédente.

 

 

Même si le gamer est notre gagne-pain et qu'en ce sens, nous lui devons tout (donc le respect, entre autres), force est de constater que nos plus gros clients sont les noobs et les geek - lesquels sont aussi les plus difficiles à contenter, par la force des choses. Dans la mesure où ils sont connectés à la matrice de leur console 24 heures sur 24 (et beaucoup plus si affinité), il vous faudra obligatoirement donner à votre aventure une durée de vie de 365 journées un quart, et un mode new game + pour être sûr qu'au moment où ils reposeront la manette, le nouvel épisode les attendra déjà, bien au frais dans les bacs. Pour délayer votre propos au-delà du raisonnable, surmultipliez les quêtes et missions annexes dépourvues d'intérêt, d'intelligence, de logique narrative : le consommateur ne vous tiendra pas rigueur de faire dans la facilité si, à la clé, vous lui promettez une arme magique grobill à + 70 en force qui tire aussi des obus de mortier. Ça peut être le chat de la Mère Michelle à libérer de la cave du père Lustucru, ou les serviteurs du balais cosmique à escorter dans leur pèlerinage vers le temple de la poubelle céleste, aucun problème, du moment qu'il y a des gils, des xp et des artefacts magiques à se faire. Ne vous embarrassez pas à faire en sorte qu'elles s'imbriquent dans l'ensemble dont elles sont supposées faire partie - comme dans un Final Fantasy VI qui, décidément, à toutes les tares pour lui. L'essentiel, c'est qu'il y en ait PLEIN. Payantes, gratuites, le reste n'est que littérature. Et la littérature, quand c'est pas publié chez Bragelonne, c'est le mal.

 

 

 

Dommage qu'il n'ait pas été question de queues d'Andromède.

 

Au moins, le fournisseur officiel aurait été volontaire...

 

 

En complément - j'attire toute votre attention sur ce point -, proposez un système d'évolution des caractéristiques alambiqué, ésotérique et, si possible, multicolore (une étude a prouvé que les gamers aiment les jolies couleurs autant que les choses qui scintillent et les cinématiques), impliquant la gestion de six tableaux croisés dynamiques parallèles, influant chacun sur un organigramme-synthétique-de-progression grâce auquel on acquiert des compétences supplémentaires en déverrouillant des nœuds de pouvoir transubstantiels par l'adjonction de fluide mnémonique à la pompe des puissances. En substance : plus cela ressemble à un plateau de jeu Kenner Parker ou à un screenshot de Tetris 3D, et plus c'est un succès. Il faut qu'à chaque nouveau niveau gagné, le joueur puisse passer trois heures à répartir ses points, de manière à élaborer le combattant le plus conforme à ses aspirations - tout ça pour que sur le terrain, il n'y ait pas de différences véritables. Ce qui est complexe apparaîtra réaliste, et ce qui est réaliste apparaîtra gratifiant...

 

 

 

Et encore... ça, c'est le sphérier en mode "débutant".

 

 

Après tout, ces gens sont coupés du monde depuis si longtemps qu'ils ont oublié que dans la « vraie vie », on ne progresse que dans les domaines que l'on perfectionne, et que les points se répartissent d'eux-mêmes sans intervention extérieure. On peut très bien s'y spécialiser dans le lancer de canettes du fond du canapé, ce n'est pas pour autant que l'on peut utiliser l'expérience acquise ainsi pour faire grimper ses statistiques perso en javelot olympique. Rendez donc service au client, en l'aidant à perdre de vue cette sévère mais juste réalité.

 

 

 

Un mot ici sur le combat au tour-par-tour : il ne vous aura pas échappé qu'il s'agissait là d'un système daté, anachronique, boudé par les nouvelles générations et donc, par tous ceux qui aspirent à leur refourguer leurs produits. Dont, je vous le rappelle, nous faisons partie intégrante. Quoi de plus ennuyeux, en effet, que d'avoir à gérer les actions d'une équipe entière - et de manière stratégique, qui plus est -, quand on peut se borner à prendre le contrôle d'un seul personnage dans un ersatz d'action RPG qui ne s'assume pas ?

 

Un seul tabou à ne pas transgresser : ledit personnage ne doit pas frapper à la demande, sans quoi il excède ses prérogatives de héros de J-RPG. Pour le reste, ne changez rien à vos habitudes, faites n'importe quoi, à partir du moment où ça semble novateur. Après tout, ce n'est pas comme si les rôlistes de salon se contentaient du tour par tour depuis plus de trente ans sans avoir éprouvé le besoin de passer à autre chose.

 

 

 

Last but not least : considérez qu'une ville ou un village qu'on puisse explorer de bout en bout en moins de 60 minutes n'est pas une ville ou un village digne de ce nom. 60 minutes, en temps de jeu, c'est une broutille : votre joueur va enchaîner dix heures d'affilées, alors il faut œuvrer à varier ses plaisirs. Trois heures de cinématiques par partie, c'est bien, mais cela ne suffira pas. Alors que des boutiques éparpillées aux quatre coins d'un bourg dessiné par un émule d'Escher passionné par les aqueducs et les escaliers en spirales, c'est imparable, surtout si elles permettent d'avoir accès à un luxe de nouvelles variables, de statistiques et d'éléments de personnalisations qu'on étudiera en long, en large et en travers.

 

Sans compter les riverains qui, comme on l'a précédemment évoqué, ne doivent jamais rechigner à communiquer les mille et uns petits secrets du souverainLar'yoth le maudit, ainsi que de ses descendants et ses ascendants sur un minimum de dix huit générations.

 

 

Astuce de professionnel (Agito 13) : IRL, on affirme souvent, symboliquement, que toutes les pierres ont une histoire. Dans votre jeu, il faudra que cela devienne une réalité et qu'à chaque bout de brique, toit de chaume ou pilier de fer corresponde un quidam qui se fera une joie de vous la conter dans ses moindres rebondissements sédimentaires.

 

 

Astuce de professionnel (14) : l'un des plus grands bonheurs du geek, ce sont les légendaires boss optionnels, qu'il faut dissimuler dans les lieux les plus improbables et doter de pouvoirs supérieurs à ceux de tous les autres adversaires, combat final compris. Car pour représenter un véritable challenge, il faut que leur existence aille à l'encontre du bon sens et de la logique narrative la plus élémentaire. Concentré tout entier sur un combat dantesque, le gamer ne songera pas à s'interroger sur ce qui serait arrivé, si son principal opposant était tombé par inadvertance sur ce terrible adversaire.

 

 

 

ça marche aussi avec Sephiroth et les fameuses/fumeuses "Armes" de l'épisode VII

(absentes de la première version japonaise, d'ailleurs. Coïncidence ?)

 

Leçon suivante.

 

 

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