C’est avec un sentiment particulier que j’attendais de pouvoir parcourir Syberia The World Before, jeu posthume de son créateur Benoît Sokal, grand scénariste et dessinateur de bandes dessinées, disparu en mai 2021. Le titre sur lequel nous allons revenir voyait lui le jour en 2022, d’abord sur PC et à ma grande surprise sur console Next-Gen en fin d’année pour les fêtes. Et ce n’est qu’en Janvier que je retrouvai l’aventurière Kate Walker pour une nouvelle enquête, plus personnelle cette fois…

  • Éditeur : Microids
  • Développeur : Koalabs
  • Année de sortie : 2022
  • Joué sur PS5

 

LE LONG CHEMIN VERS LA MAISON

Quatrième opus de Syberia qui nous fait retrouver tout d’abord une Kate dans une situation peu enviable au fin fond d’une mine de sel, quelque part en Sybérie justement. L’ancienne avocate semble au bout du rouleau - on la comprend - quand lui parvient par on ne sait quel petit miracle un courrier lui étant adressé. Malheureusement, l’objet de cette missive ne fera que lui plomber le moral encore plus, et c’est avec une héroïne littéralement au fond du trou que l’on débute cette histoire.
En parallèle à cela, on fait connaissance avec une certaine Dana Roze, vivant à Vaghen dans les années 30 en pleine montée du fascisme en Europe. La jeune pianiste aura elle aussi droit à son développement tout au long du jeu, qui alternera donc entre elle et Kate (qui vit son histoire en 2005).


L'avocate est en bien mauvaise posture quand on commence l'aventure...

Il faut bien avouer, pour commencer ce papier, que ce Syberia 4 a su dépasser à la fois mes craintes et mes espérances. Mes craintes tout d’abord que le jeu ne soit pas à la hauteur de Feu son créateur et mes espérances de retrouver cette ambiance si particulière à la série. Dans les deux cas, mission accomplie. On est bien dans un jeu d’enquête et d’énigmes dans ce qu’on qualifie un peu sommairement désormais de « Point&Click » moderne tandis que l’atmosphère de la saga est respectée avec cet esprit de mystère dans des environnements brumeux toujours envoutants.
La grande majorité du lieu d’action sera la petite ville de Vaghen, situé dans le pays fictif de l’Osterthal (situé entre la Suisse et l’Autriche dans cet univers), bien loin de la Sibérie du titre donc mais cela n’a pas grande importance car cette fois notre aventureuse brune est sur le chemin du retour, même si elle a une dernière chose à éclaircir avant de retrouver son pays natal.


Dana Roze à elle aussi des soucis mais d'un autre ordre...

La véritable prouesse reste tout de même l’incroyable travail visuel et technique dont a bénéficié cet épisode. Je vais être franc je ne m’attendais pas à une telle qualité tant au niveau des graphismes que de la jouabilité en général. Pour un jeu que l’on va qualifier de «AA» je peux vous assurer qu’il s’agit d’un véritable joyau vidéoludique en ce qui concerne l’aspect graphique. Tout est peaufiné jusque dans les moindres détails et vous vous surprendrez à admirer le moindre lampadaire, le moindre banc et la moindre rampe d’escalier tant leur design art-déco et leur finesse de modélisation sont bluffantes. Bien entendu ce travail d’orfèvre est surtout mis à contribution sur les personnages - et en particulier sur les deux protagonistes principales que sont Kate et Roze - qui bénéficient tous d’un soin particulier au niveau de leur visage et traits d’expression.


L'action aura principalement lieu dans la ville de Vaghen, charmante bourgade où il fait bon vivre

La technique est aussi merveilleusement exploitée en ce qui concerne le gameplay. Jamais Miss Walker n’a été aussi souple dans ses déplacements et les commandes n’ont jamais été aussi limpides. Fini le temps où l’on galéré sur un obstacle uniquement car on ne comprenait pas la manipulation à faire. Pour finir sur ce chapitre, la mise en scène est aussi au diapason du reste, c'est-à-dire habilement pensée, avec des cadres très travaillés, une ambiance aux petits oignons et même des moments de pure contemplation que l’on peut laisser durer à loisir… Superbe.

 

ENTRE HIER ET AVANT-HIER

Kate et Dana donc. Deux histoires qui vont s’enchaîner, sachant que Madame Walker est en fait sur les traces de la mademoiselle Roze afin de résoudre le mystère de sa ressemblance avec cette inconnue et afin de tenir une promesse faite à une amie. Plus psychologiquement parlant, Kate trouve dans cette recherche un peu vaine une nouvelle chimère à poursuivre, elle qui ne peut se résoudre à tout simplement retourner chez elle, dans sa petite vie bien rangée où l’attendent une montagne de problème.
En ce qui concerne Dana, c’est une tout autre paire de manches. Dans cette Europe des années 30 où le fascisme s’installe elle doit vivre au quotidien avec le parti de « L’Ombre Brune » qui gagne du terrain dans les rues et les esprits. Elle-même et ses parents, membres de la communauté vageranes, ont droit aux persécutions et aux jets de pierres au travers de la vitrine du magasin tenu par la famille. Bien que les noms aient été modifiés il ne me semble pas utile de préciser à quoi ils font référence, je pense que tout le monde a compris.


Nos deux héroïnes pour cette enquête passionnante entre passé et présent. Notez la finesse des visages...

On suivra cependant surtout la jeune femme lors de son premier petit boulot au refuge situé aux pieds des montagnes environnantes où elle fera connaissance avec un groupe d’explorateurs en pleine préparation pour une expédition au Baltayar (équivalent du Népal). Elle y rencontrera surtout le beau Leon Kobatis, pour une romance dont je tairai les remous car cela m’amènerait à trop en révéler.
Pour rester dans le flou de la trame principale tout en donnant envie de la découvrir, sachez qu’elle se parcoure avec envie et avec la même curiosité qu’éprouve Kate à vouloir apprendre le fin mot de l’histoire de cette jeune femme au destin à la fois anodin et incroyable. Une belle enquête à travers la ville qui revient sur un parcours de vie oublié de tous (ou presque) mais qui demeure pourtant important d’un point de vue global. Quelques rebondissements seront de la partie ainsi que des phases un peu inattendues dont là aussi je ne ferai pas l’exergue afin de laisser la surprise aux futurs joueurs.


Un destin pas si anodin pour cette jeune femme anonyme...

Je vais revenir par contre sur quelques notions à mettre en avant de manière évidente. Tout d’abord sur ce magnifique travail d’ambiance qui se différencie entre les deux époques. Bien que les deux femmes traversent des lieux uniques à chacune d’elles, il arrive que l’on parcoure avec l’une et l’autre des lieux communs, à 70 ans d’intervalle donc. Encore une preuve du travail apporté à ce Syberia 4 avec ces mêmes décors qui se voient revisités à l’aune de leurs périodes respectives. Par exemple assez fréquenté dans une temporalité et totalement laissé à l’abandon dans une autre. Ou pour citer un cas assez marquant, passant d’un atelier de mécanique en 1937 à un « Starbucks » qui ne dit pas son nom en 2005. C’est assez marrant à voir.
Les meilleurs passages pour appréhender cette notion restent les phases de « double jouabilité » où l’on peut passer de Kate à Dana par une simple pression de touche. Ces phases servent généralement à résoudre des énigmes en jouant sur le fait que l’une ou l’autre à des informations que la seconde n’a pas mais cela permet également de comparer les variations de colorimétrie, de ton, de musique et bien entendu de constater l’évolution des décors au fil du temps.

 

AU TRAIN OÙ VONT LES CHOSES

S’il y a cependant bien UN point sur lequel ce nouvel épisode de Syberia s’est grandement amélioré, c’est en ce qui concerne ses énigmes. Car autant dans les précédents jeux certaines d’entre elles étaient de véritables sacerdoces, ici aucunes ne s’avèrent farfelues ou incompréhensibles. Et ce pour une raison très simple : elles sont toutes parfaitement logiques ! Pas d’explications tarabiscotées, pas de symboles sortis d’on ne sait où, pas de codes couleurs qui ne correspondent à rien, pas d’erreur dans le mot de passe (Ha ! L’Amerzone…), pas de sonorités à déchiffrer ou de piano-bar à faire fonctionner. Non, que des épreuves sensées et parfaitement abordables qui peuvent se résoudre par de vraies déductions et non pas par des circonvolutions absconses et capillotractées. Et je peux vous assurer que cela fait un bien fou que de se retrouver confronté à des puzzles dont on comprend les tenants et les aboutissants. Cela ne vaut pas dire qu’ils sont plus simples ou plus rapides, juste qu’on ne se retrouve pas bloqué parce qu’un aspect de l’énigme se révèle être complètement obscur ou sans queue ni tête (j’ai encore en mémoire le strapontin dans le 3 ou ce fichu piano-bar du premier…)


De loin les meilleures énigmes de la saga...

Cela arrive assez peu quand j’écris mes avis sur les jeux mais je ne vois aucun défaut majeur ou mineur à signaler pour ce Syberia Le Monde D’avant (l’autre exemple se nomme ‘La Fureur de l’Étranger’). Histoire, mise en scène, ambiance, écriture, énigmes, technique, graphismes, personnages… tout semble s’associer à la perfection pour nous offrir une très belle expérience vidéoludique. Bien sûr il faut être réceptif de base à ce genre qui se veut très lent, très verbeux et très mélancolique mais si c’est votre cas je vous assure que vous allez passer un très agréable moment en compagnie de Kate Walker et Dana Roze.


Un jeu tout simplement agréable à parcourir...

Pour pinailler, on pourra regretter un peu de naïveté dans l’approche de cette période avant-guerre, qui manque de subtilité (quoique ça se discute…) mais cette douce lecture un peu simpliste était déjà présente dans les aventures précédentes (la radioactivité, l’armée russe, les petits brigands etc…) et cela ne fait en vérité que rajouter au charme de l’ensemble.


La vérité est parfois assez sombre quand on creuse trop loin...

Dans sa construction narrative, son rythme, son enquête d’une personne disparue et son final, cette quatrième partie de Syberia rappelle par beaucoup le premier épisode tout en conservant ses spécificités et surtout ses améliorations bien compréhensibles au vu des deux décennies qui sont passées par là. Quand commence à se dérouler le générique de fin, on se pose la question inévitable du cinquième épisode. Doit-il se faire ? Et si oui comment ? Sans l’auteur de la série, son créateur ? Même si je peux comprendre le point de vue qui consiste à dire qu’il vaut mieux conclure cette saga sur cette partie et laisser la franchise reposer avec Benoît Sokal, je dois dire qu’un épisode conclusif - qui pour le coup rattraperait le schéma narratif du deuxième épisode (mon préféré) - ferait mon bonheur. À la condition qu’il soit respectueux du travail du scénariste-dessinateur et que comme précisé plus haut il mette un point final à l’histoire de Kate Walker !


Un cinquième et dernier épisode pour conclure l'odyssée de Kate Walker serait le bienvenu. Mais pas un de plus !

C’est rare les jeux qui surprennent positivement en tout point. Syberia The World Before est de ceux-là, indéniablement. Tout y est judicieusement agencé, et avec la manière de surcroît. Et ce n’était pas si évident que cela au vu du fait des deux histoires parallèles que nous serons amenés à découvrir. L’une avec notre habituelle héroïne Kate Walker et l’autre avec la nouvelle venue Dana Roze. Et les deux sont suffisamment captivantes et touchantes pour qu’on les suive avec envie de bout en bout, entre révélations chocs, retournements de situation et découverte des petites choses de la vie. À cela s’ajoute une jouabilité fluide et appréciable dans des décors qui subjuguent par leur netteté et leur architecture. Enfin et surtout on découvre des énigmes de bon aloi, qui font réfléchir de la bonne manière, sans qu’on soit obligé de se taper la tête contre les murs pour comprendre leur logique absurde que seul le concepteur parvient à déchiffrer.
En clair Syberia The World Before est une réussite totale, sans aucune anicroche à signaler à quelque niveau que ce soit. Félicitations donc à Koalabs et à très vite j’espère pour un cinquième et dernier épisode !

Liens vers mes précédents articles concernant cette saga:
Amerzone
Syberia
Syberia 2
Syberia 3