C'est un constat brut, râpeux, un peu douloureux. Il m'a percuté frontalement ce matin quand, en bon petit toxico des réseaux sociaux, je suis allé sniffer ma dose d'amour et de complicité quotidienne sur Facebook, Twitter et autres distributeurs de poudre à bonheur. Il était là, au milieu des like, des gif amusés, des clins d'oeil appuyés, des commentaires qui me faisaient me sentir bien, dans ma zone de confort où rien, désormais, ne m'atteint.
 
"Sans vouloir manquer de respect..."
 
La formule est connue, elle t'annonce que, justement, on va t'en manquer, de respect. Elle a surgi sur un petit état d'humeur souriant, qui ne faisait de mal à personne, de ces instants instantanément partagés parce qu'on est seul chez soi et qu'on n'a personne sous la main pour les dire à haute voix. Elle a rompu la litanie des amis qui pensaient bien, qui pensaient droit, qui pensaient comme moi. Elle n'allait pas bien loin, non plus, elle était juste là pour faire un peu mal, plus ou moins consciemment, sans doute parce que son auteur avait mal démarré la journée, ou mal bouclé celle qui venait de se terminer. Mouvement d'humeur, besoin de se lâcher. Ca aussi, tout le monde connaît.
 
Mais elle était là, quoi qu'il en soit. A me défier, à me peiner, à me frustrer de ne savoir comment m'en accommoder. C'est tout le problème, avec ces mots désincarnés. Tu les écris, tu oublies qu'ils s'adressent à une personne qui est là, à l'autre bout de ta connexion, pour les lire et les soupeser, sans autre moyen de les juger que leur couleur, leur tonalité. Il n'y a rien, un sourire, un regard contrit, qui puisse venir les atténuer. Moi aussi, j'avais passé une mauvaise nuit. Alors je me suis fâché. J'ai rageusement enfoncé les touches de mon clavier pour préparer une réponse bien sentie. Une réponse qui sonnait juste, parce que, quand même, il ne faudrait pas donner une mauvaise image de moi à ma communauté. Avec un zeste de perfidie, aussi, parce que, derrière mon ordinateur, j'incline à la mesquinerie.
 
Les mots s'enchaînent, et bientôt la réponse est là, cinglante, qui n'attend qu'à être validée et, à son tour, vexer, heurter, blesser l'avatar de celui avec qui, dans deux heures, je pourrais bien aller boire un café. Je me demande si je dois la publier. Enfin, la vérité, c'est que je ne me pose pas tout de suite la question, je publie et j'attends les réactions. Peut-être qu'un tiers va passer par là, prendre le temps de lire et écrire bien, écrire droit, écrire un petit mot qui me soutiendra, moi. Sur cette communauté que je me forge à ma mesure à longueur d'année, c'est facile, c'est probable, il n'y a guère de place pour l'altérité.
 
Et puis je me relis, et je me rends compte que ces mots, mes mots, vont bien au-delà du message que je veux faire passer. Ils font mal, ils sont durs, ils ne me ressemblent pas. Je les efface précipitamment, un peu honteux, soulagé aussi qu'ils n'aient pas eu le temps d'être lus, commentés, jugés. Je reste perplexe, aussi, devant la facilité avec lesquels je les ai rédigés, devant l'aisance avec laquelle je me suis laissé emporter par des propos anodins, que j'aurais pourtant pu laisser là, seuls, où ils étaient. Devant l'absence de garde-fous qui me les a faits publier, comme si mon interlocuteur n'était rien de plus qu'un anonyme à l'autre bout de la chaîne, un lambda désincarné. Alors je décide de faire silence. Et de retenir ma leçon de la journée: ces mots que j'ai à dire, parce qu'ils doivent sortir, je les dirai les yeux dans les yeux, autour d'un café. A l'abri de ces "murs" qui, à vouloir nous rapprocher, n'ont jamais été aussi près de nous éloigner...